La Thaïlande et quatorze autres pays, dont la Chine, ont approuvé dimanche (15 novembre) la mise en place du plus vaste accord de libre-échange du monde — qui englobe près d’un tiers de l’activité économique internationale — dans le cadre d’une entente que beaucoup en Asie espèrent voir contribuer à accélérer la reprise après le choc de la pandémie de coronavirus Covid-19.
Le partenariat régional économique global, ou RCEP, a été signé de manière virtuelle, en marge du sommet annuel des dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN).
« Je suis ravi de pouvoir dire qu’après huit ans de travail acharné, nous avons aujourd’hui officiellement mené à bien les négociations du RCEP en vue de sa signature », a annoncé le Premier ministre du pays hôte, le Viêt Nam, Nguyen Xuan Phuc.
« La conclusion des négociations du RCEP, le plus grand accord de libre-échange du monde, enverra un message fort qui confirmera le rôle prépondérant de l’ASEAN pour soutenir le système commercial multilatéral, créer une nouvelle structure commerciale dans la région, permettre une facilitation durable du commerce, revitaliser les chaînes d’approvisionnement perturbées par la Covid-19 et aider à la reprise post-pandémique », ajoute M. Phuc.
Le pacte prévoit de baisser encore davantage les droits de douane, déjà limités, sur les échanges entre les États adhérents, mais reste moins exhaustif que l’accord de partenariat transpacifique (TPP) conclu entre 11 pays, dont le président américain Donald Trump s’était retiré peu après son entrée en fonction.
Outre les 10 membres de l’ASEAN, il inclut la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais pas les États-Unis. Les responsables ont déclaré que la porte restait ouverte pour que l’Inde, qui avait renoncé à le signer en raison d’une forte opposition domestique, rejoigne le bloc.
Une évaluation complète des modalités précises relatives aux tarifs douaniers et aux règles applicables aux 15 pays concernés nécessitera encore un long délai. Le seul cas du Japon comporte 1 334 pages.
L’accord ne devrait pas aller aussi loin que l’Union européenne dans l’intégration des économies membres, mais il s’appuie sur les contrats de libre-échange existants.
Cette entente revêt un caractère symbolique fort, qui prouve que près de quatre ans après le lancement par M. Trump de sa politique « America First », axée sur la conclusion d’accords commerciaux individuels, l’Asie reste attachée aux efforts déployés par plusieurs pays pour libéraliser les échanges, perçus comme une formule pour la prospérité future.
Avant le « sommet spécial » du RCEP de dimanche, le Premier ministre japonais Yoshihide Suga avait affirmé qu’il apporterait fermement le soutien de son gouvernement à « l’élargissement d’une zone économique libre et équitable, y compris une possibilité de réintégration future de l’Inde dans l’accord, et [qu’il] espérait obtenir le soutien des autres pays ».
Le traité constitue également une victoire pour la Chine, de loin le principal marché de la région avec ses 1,3 milliard d’habitants, en permettant à Pékin de se poser en « champion de la mondialisation et de la coopération multilatérale » et en lui donnant une plus grande influence sur les règles qui régissent le commerce régional, estime Gareth Leather, économiste principal pour l’Asie de Capital Economics, dans un rapport.
L’agence de presse officielle chinoise Xinhua a quant à elle cité le Premier ministre Li Keqiang, qui a salué l’accord comme une victoire contre le protectionnisme, dans un discours vidéo.
« La signature du RCEP n’est pas seulement une avancée importante pour la coopération régionale en Asie de l’Est, mais aussi un triomphe du multilatéralisme et du libre-échange », a-t-il déclaré.
Avec cet instrument, la Chine, le Japon et la Corée du Sud devraient finalement parvenir à un accord de libre-échange trilatéral après des années de lutte pour surmonter leurs divergences.
Depuis que l’adversaire de M. Trump, Joe Biden, a été déclaré président élu, la région surveille de près la manière dont la politique américaine en matière de commerce et d’autres questions va évoluer.
Les analystes doutent cependant que M. Biden insiste pour réintégrer l’accord de partenariat transpacifique ou pour revenir sur les nombreuses sanctions commerciales américaines imposées à la Chine par l’administration Trump, au vu de la profonde frustration suscitée par le bilan de Pékin en matière de commerce et de droits de l’Homme, et des accusations d’espionnage et de vol de technologies.
Les opposants aux accords de libre-échange d’une manière générale affirment que ceux-ci ont tendance à pousser les entreprises à délocaliser des emplois manufacturiers à l’étranger. En conséquence, après avoir gagné les électeurs mécontents du Michigan et de l’ouest de la Pennsylvanie lors du scrutin du 3 novembre, Biden « ne va pas gâcher cela en réintroduisant le TPP », selon Michael Jonathan Green du cercle de réflexion Center for Strategic and International Studies.
Néanmoins, compte tenu des préoccupations relatives à l’influence croissante de la Chine, M. Biden va probablement chercher à s’engager beaucoup plus en Asie du Sud-Est pour protéger les intérêts américains, ajoute-t-il.
Le marché du sud-est asiatique, en pleine expansion et de plus en plus prospère, avec ses 650 millions d’habitants, a été durement touché par la pandémie de coronavirus Covid-19 et cherche de toute urgence de nouveaux moteurs de croissance.
Initialement, le RCEP devait inclure quelque 3,6 milliards de personnes et englober un tiers du commerce et du PIB mondiaux. Sans l’Inde, il couvre toujours plus de 2 milliards d’habitants et moins d’un tiers de l’ensemble des activités commerciales et industrielles.
L’Accord Canada–États-Unis–Mexique, ou USMCA, la version remaniée sous l’égide de Trump de l’accord de libre-échange nord-américain, couvre un peu moins d’activité économique et moins d’un dixième de la population mondiale. L’Union européenne et l’Accord global et progressif de partenariat transpacifique (CPTPP), la mouture révisée de l’accord rejeté par Trump, sont également plus restreints. Le RCEP comprend six des onze membres restants du CPTPP.
L’Inde hésite toujours à exposer ses agriculteurs et ses usines à une compétition étrangère accrue. Notamment, les producteurs indiens s’inquiètent de la concurrence en provenance des secteurs laitier et fromager néo-zélandais et australien. Les constructeurs automobiles redoutent aussi les importations de toute la région. Mais de manière générale, la plus grande crainte concerne un afflux d’articles manufacturés chinois.
Au cours de la dernière décennie, les échanges commerciaux et les flux d’investissement en Asie se sont considérablement développés, et cette tendance s’est accélérée en raison des querelles entre les États-Unis et la Chine, qui ont imposé des milliards de dollars de droits de douane punitifs sur leurs exportations respectives.
Le RCEP apparaît comme suffisamment souple pour s’adapter aux besoins disparates de pays membres aussi divers que le Myanmar (Birmanie), Singapour, le Viêt Nam et l’Australie. Contrairement au CPTPP et à l’UE, il n’établit pas de normes unifiées en matière de travail et d’environnement et n’engage pas les pays à ouvrir les services et autres secteurs vulnérables de leur économie.
En revanche, il fixe des règles commerciales qui faciliteront les investissements et les diverses activités commerciales dans la région, explique Jeffrey Wilson, directeur de la recherche au Perth USAsia Center, dans un rapport.
« Le RCEP est donc une plateforme indispensable pour le redressement de la région indopacifique après la Covid », écrit-il.
Pour rappel, les membres de l’ASEAN sont le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, le Myanmar (Birmanie), les Philippines, la Thaïlande, le Brunei, Singapour, la Malaisie et le Viêt Nam.