Pourquoi les étudiants d’Asie du Sud-Est privilégient-ils le Royaume-Uni et les États-Unis à l’Europe ?


(Photo : Brock University)

Pour la plupart des étudiants d’Asie du Sud-Est, le rêve est d’étudier dans une université britannique ou américaine. Les écoles supérieures japonaises gagnent elles aussi en popularité dans la région. Mais les établissements européens accusent un retard.

Pour de nombreux jeunes asiatiques, la possibilité de partir étudier dans une faculté d’Europe continentale ne ressort jamais vraiment.

Le mois dernier, l’Union européenne a décidé de prolonger son programme de bourses d’études en faveur de l’Asie du Sud-Est jusqu’à la fin de 2022. Grâce à l’octroi de 5 millions d’euros additionnels, 300 bourses supplémentaires seront ainsi accordées aux élèves de la région pour la mobilité internationale.

Face au lucratif marché asiatique, les universités des États membres de l’UE tentent toujours de combler leur retard sur leurs homologues britanniques, américains et, de plus en plus, japonais.

Selon le dernier rapport sur la situation en Asie du Sud-Est, publié chaque année par l’ISEAS-Yusof Ishak Institute, quelque 12,2 % des sondés de la région ont déclaré en 2020 qu’un État membre de l’UE serait leur destination préférée si on leur offrait une bourse universitaire pour leurs études à l’étranger. Ce chiffre est passé à 13 % en 2021.



Les universités de l’UE rattrapent leur retard

Malgré tout, les États de l’UE restent loin derrière les États-Unis (29,7 %) et le Royaume-Uni (19,9 %) parmi les destinations préférées pour les études supérieures. Selon le rapport, la popularité des universités japonaises augmente par ailleurs plus rapidement que celle des établissements de l’UE.

« Les universités anglophones possèdent l’avantage indéniable de la langue. L’utilisation de la langue anglaise reste le principal facteur de décision pour de nombreux étudiants asiatiques », déclare Igor Driesmans, l’ambassadeur de l’UE auprès du bloc de l’ASEAN, à DW.

Toutefois, M. Driesman ajoute que les universités de l’UE rattrapent progressivement leur retard — non seulement en produisant davantage de contenu académique en anglais, mais aussi en donnant plus de cours dans la lingua franca mondiale.

L’un des principaux moteurs de cette évolution vers l’apprentissage en anglais a été l’Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES). Cette collaboration a été constituée en 2010 entre les universités de l’UE et celles de certaines régions d’Eurasie.

Le nombre de licences enseignées en anglais proposées par les établissements des pays de l’EEES était de presque zéro en 2009 et a atteint près de 3 000 en 2017, selon une étude de l’EEES réalisée cette année-là. Pour les programmes de troisième cycle donnés en anglais, il est passé de 725 en 2001 à plus de 8 000 en 2014.

Au total, le nombre de premiers permis de séjour délivrés à des citoyens non européens à des fins d’éducation dans le bloc est passé de 235 000 en 2009 à près de 400 000 en 2019, selon les données d’Eurostat.

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La popularité des écoles japonaises en Asie du Sud-Est

Bien que les jeunes d’Asie du Sud-Est préfèrent étudier dans des pays anglophones pour leur cursus à l’étranger, un nombre sans cesse croissant d’entre eux souhaitent également se rendre au Japon, malgré la barrière de la langue, affirme Kimkong Heng, cofondateur du Cambodian Education Forum, un groupe de réflexion nouvellement créé pour promouvoir la recherche sur l’éducation.

Ce phénomène tient au fait que certains Asiatiques du Sud-Est ont déjà étudié au Japon et recommandent les académies à leurs amis, à leur famille et à d’autres étudiants restés au pays, selon M. Heng. Certains contribuent même à établir un lien plus formel entre leurs proches et les universités japonaises.

M. Heng précise que le Japon propose similairement chaque année des bourses gouvernementales importantes à la région et aux pays d’origine. « L’Union européenne devrait offrir davantage de bourses aux étudiants d’Asie du Sud-Est », commente-t-il. « Les allocations pour les étudiants devraient également être augmentées, afin de rendre leurs bourses plus attrayantes. »

Cela dit, l’UE ne manque pas de fournir ce genre d’aides universitaires. Elle a lancé le programme de soutien de l’UE à l’enseignement supérieur dans la région de l’ASEAN en 2015 aux côtés du Royaume-Uni, membre de l’UE à l’époque. En 2020, elle a accordé à quelque 176 étudiants de toute l’Asie du Sud-Est une bourse Erasmus pour un master commun, indique M. Driesman.



Retenir les étudiants internationaux

Fin avril, l’UE a prolongé jusqu’à la fin de 2022 son soutien à l’enseignement supérieur dans la région de l’ASEAN, qui prévoit une aide financière pour les bourses intrarégionales et les bourses d’études dans les États de l’UE.

Toutefois, il subsiste des limites claires sur ce que l’UE peut faire dans le domaine de l’enseignement supérieur, « qui reste entre les mains des États membres et des universités qui sont autonomes », affirme Meng-Hsuan Chou, professeure associée à la Nanyang Technological University de Singapour.

Certains pays de l’UE tiennent à mettre l’accent sur les relations internationales avec leurs anciennes colonies. Ainsi, selon une étude, 1 402 ressortissants indonésiens étaient inscrits dans des universités néerlandaises au cours de l’année 2018/2019.

Uni-Italia, une organisation qui vise à promouvoir les établissements d’enseignement supérieur italiens, dispose de relais en Indonésie et au Viêt Nam, où elle travaille souvent aux côtés des ambassades italiennes. L’agence gouvernementale Campus France et les bureaux d’aide à l’éducation des Pays-Bas, avec presque tous les États de l’UE dotés de structures de sensibilisation similaires, rivalisent également pour séduire les étudiants étrangers.

Cependant, une recherche de la Commission européenne sur cette question, publiée à la mi-2019 et intitulée « Attirer et retenir les étudiants internationaux dans l’UE », souligne que le problème n’est pas de faire venir les étudiants, mais de les conserver, que ce soit pour des programmes de troisième cycle ou pour travailler.

L’enseignement des diplômes en anglais présente des résultats positifs pour les attirer dans les États membres de l’UE, note le rapport. Cependant, il ne favorise pas la fidélisation des étudiants. « Il peut entraver l’intégration à long terme des étudiants internationaux sur le marché du travail, sauf si l’apprentissage de la langue et d’autres mesures d’adaptation ont lieu pendant la période d’études. »

Mais l’un des principaux problèmes, selon Mme Chou, de la Nanyang Technological University de Singapour, est que les universités des États membres de l’UE doivent encore « projeter une image claire » d’elles-mêmes aux étudiants d’Asie du Sud-Est, contrairement aux instituts américains et britanniques.

Lorsqu’ils choisissent une université étrangère, poursuit-elle, les étudiants d’Asie du Sud-Est regardent deux choses : la valeur de l’argent investi et l’image de l’expérience d’étude — c’est-à-dire les diplômes proposés et le cadre de vie.

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Valeur de l’argent investi

En premier lieu, de nombreuses universités européennes proposent des cursus moins chers que leurs concurrentes britanniques ou américaines.

Le coût initial par an d’un diplôme de premier cycle pour les étudiants non européens se situait à 2 770 € en France, 4 175 € en Belgique et entre 6 000 et 15 000 € aux Pays-Bas. En comparaison, il s’élevait à environ 12 000 € au Royaume-Uni, selon les données recueillies par QS Quacquarelli Symonds, une société mondiale d’analyse de l’enseignement supérieur.

Dans certains États de l’UE, comme la République tchèque et la Slovaquie, le coût des diplômes de troisième cycle est à peu près le même pour les apprenants de l’UE et ceux non européens. Bien que ces diplômes soient assortis de certaines exigences en matière de langue locale.

En revanche, les établissements britanniques et américains sont fréquemment mieux référencés que ceux européens. Elles apparaissent donc potentiellement plus avantageuses pour la scolarité des étudiants étrangers.

Selon le classement international des universités de 2021 du Times Higher Education, toutes les universités du monde sauf trois — l’ETH Zurich en Suisse, l’Université de Toronto au Canada et l’Université Tsinghua en Chine — sont situées aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La première européenne sur la liste est la LMU de Munich en Allemagne, en 32e position.

« La combinaison de ces deux images suscite la pérennité des universités américaines et britanniques et contribue à l’attrait croissant de celles japonaises aux yeux des étudiants d’Asie du Sud-Est », souligne Mme Chou.