Les prisons surpeuplées de Thaïlande au cœur de la flambée de coronavirus Covid-19 de ces dernières semaines

Avec une population carcérale parmi les plus importantes au monde, le risque de crise était constant


La Thaïlande a traversé la première année de la pandémie de coronavirus Covid-19 de manière efficace et figurait même parmi les leaders mondiaux pour avoir su contenir le nombre de cas et de décès. Mais en 2021, le tableau s’est assombri, en particulier dans les prisons du royaume au cours des dernières semaines.

Depuis début avril, le bilan des infections affiche une hausse fulgurante. Chaque jour, des milliers de nouveaux cas et davantage de décès sont signalés. Les autorités ont alors à nouveau imposé un certain nombre de mesures restrictives : fermeture des bars, des parcs, des salles de sport et des cinémas (les centres commerciaux ont quant à eux pu rester ouverts), exigence de porter un masque dans les lieux publics et renforcement des règles de la quarantaine obligatoire pour les personnes qui arrivent de l’étranger. Malgré cela, le virus s’est étendu à des environnements où la distanciation physique demeurait impossible, notamment dans les prisons surpeuplées de ce pays d’Asie du Sud-Est.



Selon les évaluations officielles au 5 juin, 29 151 prisonniers en Thaïlande ont été infectés par le Covid-19. Les établissements pénitentiaires de Bangkok ont été particulièrement touchés, mais des foyers ont également été signalés à Narathiwat, dans le sud du royaume, ou à Chiang Mai, dans le nord du pays.

Plusieurs situations exceptionnelles ont été observées. Par exemple, le 17 mai, les détenus représentaient le chiffre record de plus de 70 % des 9 635 nouveaux cas de Covid-19 signalés ce jour-là. Ou encore, dans un centre pénitentiaire de Chiang Mai, quelque 61 % des prisonniers ont été testés positifs.

Il n’est pas difficile de constater à quel point, au beau milieu d’une pandémie mondiale, les risques pour la santé des détenus augmentent. Des conditions insalubres et dangereuses, une mauvaise ventilation, la surpopulation endémique et un accès limité aux soins médicaux apparaissent comme des problématiques dans les prisons du monde entier, et la santé physique et mentale des détenus se révèle souvent précaire. Dans de nombreux centres pénitentiaires, les infections peuvent se propager à l’intérieur et entre les établissements par le biais des admissions de nouveaux détenus, des transferts, des visites ou des déplacements du personnel, affectant ainsi à la fois les prisonniers, les surveillants et le grand public.

Des foyers sévères de Covid-19 ont été signalés dans les établissements pénitentiaires de nombreux pays comme l’Inde, le Pakistan, la Corée du Sud, l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni. Selon The Marshall Project, une organisation à but non lucratif qui travaille sur le système de justice pénale américain, au 18 mai, près de 398 000 détenus, rien qu’aux États-Unis, ont été testés positifs au coronavirus et environ 2 680 sont décédés. D’après les données compilées par le New York Times, le nombre serait même encore plus important si l’on prend en compte les personnes retenues dans tous les types de lieux de détention.

Dans le cas de la Thaïlande, qui affiche l’un des taux d’incarcération les plus élevés au monde, le risque de propagation majeure a toujours été important. Les prisons thaïlandaises abriteraient actuellement quelque 307 000 détenus, soit trois fois plus que la capacité officielle du pays qui souffre d’une surpopulation chronique. Récemment, l’Institut thaïlandais de la justice a rapporté que dans une prison, 35 à 45 personnes étaient forcées de vivre dans la même cellule et de dormir les unes à côté des autres. Les lois très strictes sur les drogues constituent l’une des raisons principales pour lesquelles un nombre si élevé de personnes se retrouvent en prison. On estime ainsi que plus de 80 % des détenus sont incarcérés pour des infractions liées aux stupéfiants.

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L’ampleur de l’épidémie actuelle dans les prisons thaïlandaises n’a été mise au jour qu’après que plusieurs activistes étudiants de premier plan, qui avaient pris part aux manifestations antigouvernementales de 2020, ont été testés positifs. Parmi les personnes infectées figuraient notamment Panusaya « Rung » Sithijirawattanakul, qui a fait parler d’elle l’année dernière en appelant publiquement à une réforme de la monarchie, l’avocat des droits de l’Homme Arnon Nampa et plusieurs autres qui ont depuis été libérés sous caution.

Si les autorités thaïlandaises ont tardé à agir, elles tentent désormais de faire preuve de réactivité. Les mesures engagées pour combattre l’épidémie de Covid-19 incluent l’augmentation du nombre de tests et de vaccinations pour les prisonniers, l’extension de la période d’isolement pour les nouveaux détenus à 21 jours, la suspension des transferts et la libération anticipée de plusieurs milliers de personnes. Les autorités pénitentiaires ont également reçu l’ordre de mettre en place des hôpitaux de campagne pour traiter les patients.



Mais, malgré ces actions de lutte contre la pandémie, rares sont les responsables à se montrer optimistes. « Les prisons sont surpeuplées », déclarait Aryut Sinthoppan, directeur général du Département correctionnel, le mois dernier. « Par conséquent, il existe des contraintes en matière d’hygiène et de contrôle des maladies. »

Si le nombre de détenus dans les prisons thaïlandaises a reculé en 2020, d’environ 16 %, à la suite de libérations anticipées, il ne semble pas que cela ait contribué à lutter contre la surpopulation chronique ou les risques sanitaires.

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Mais les lieux de privation de liberté ne sont pas les seuls où des vagues sévères se sont déclenchées depuis le début de cette troisième vague. Les usines et les campements du secteur de la construction qui abritent un nombre important de travailleurs migrants ont également souffert de manière disproportionnée face à la propagation du virus, tout comme les quartiers urbains à forte densité de population où les logements sont inadaptés. Une entreprise de Phetchaburi, au sud-ouest de la capitale Bangkok, a recensé plus de 2 000 cas, dont une majorité de travailleurs migrants originaires du Myanmar (Birmanie).

En outre, la campagne de vaccination de la Thaïlande a fait l’objet de critiques massives, avec des interrogations sur l’approvisionnement, la distribution et l’urgence d’inoculer les personnes à risque. À ce jour (5 juin 2021), environ 2,7 millions de personnes ont reçu au moins une dose de vaccin contre le Covid-19 (AstraZeneca ou Sinovac), alors que la population de la Thaïlande est estimée à un peu plus de 66 millions d’habitants. Prayut Chan-o-cha, qui occupe le poste de Premier ministre et fut à la tête du coup d’État de 2014, fait quant à lui partie des heureux élus. Il y a deux semaines, celui-ci posait devant les caméras avec sa carte de vaccination après avoir reçu sa deuxième dose d’AstraZeneca.