La Cour constitutionnelle de Thaïlande a ordonné vendredi 21 février la dissolution du Parti du nouvel avenir (Future Forward Party), la principale formation d’opposition. Les juges ont estimé que les lois électorales avaient été enfreintes en acceptant un prêt non autorisé de son fondateur, le milliardaire Thanathorn Juangroongruangkit.
Le Parti du nouvel avenir a ainsi été reconnu coupable par la Cour, qui a considéré que le prêt de 191 millions de bahts (5,6 millions d’euros) octroyé par son chef, Thanathorn Juangroongruangkit, était en fait un don illicite. Il s’agit du quatrième parti anti militaires à être dissous par ce même tribunal depuis sa création en 1997.
Outre le démantèlement de cette formation, la justice a condamné quinze de ses cadres à une interdiction de vie politique pendant dix ans, y compris pour son fondateur M. Thanathorn. Dans la mesure où dix de ces dirigeants sont également députés, ce verdict a réduit le nombre de sièges du parti au Parlement à 68.
Ceux-ci doivent à présent rallier un parti tiers dans les soixante jours afin de conserver leur statut de législateur.
M. Thanathorn et les autres responsables du parti n’ont pas assisté physiquement à la lecture de la sentence. Ils se sont rassemblés au siège du parti afin d’assister à sa retransmission en direct.
Un don, pas un prêt
En 2019, la commission électorale avait introduit une plainte sur la base de preuves présentées par l’activiste Srisuwan Janya, qui accusait le parti d’avoir enfreint les lois en acceptant le prêt de M. Thanathorn.
Ce prêt fut mentionné pour la première fois par M. Thanathorn lui-même, au cours d’une conférence tenue au Club des correspondants étrangers de Thaïlande en mars 2019. Il avait alors reconnu avoir remis de l’argent à son parti nouvellement fondé.
Les autorités ont cependant estimé qu’il ne s’agissait pas d’un prêt, mais d’un don. En vertu de la législation électorale, il est en effet interdit de procéder à un don de plus de dix millions de bahts au profit d’un parti au cours d’une année civile. La formation politique a nié ces accusations et affirmé que cela ne pouvait pas être considéré comme un don puisqu’elle avait accepté de rembourser la somme à M. Thanathorn.
La courte vie du Parti du nouvel avenir
La disparition de ce parti survient moins de deux ans après sa fondation par le magnat des pièces automobiles Thanathorn Juangroongruangkit. Ce dernier promettait de mener des politiques progressistes, notamment en réformant l’armée, en protégeant les droits de l’Homme et en décentralisant le gouvernement.
Il s’est rapidement révélé extrêmement populaire, arrivant en troisième position aux élections de 2019 et délogeant même les démocrates de leurs fiefs traditionnels à Bangkok.
Cette notoriété s’est notamment illustrée à plusieurs reprises, lorsque des milliers de personnes se sont rassemblées à l’appel de M. Thanathorn afin de protester contre les poursuites judiciaires à son encontre et demander davantage de démocratie en Thaïlande. Ces mobilisations politiques sont considérées comme les plus importantes depuis le coup d’État de 2014.
Depuis qu’il a entamé sa course au pouvoir, le parti fait l’objet de nombreuses contestations judiciaires, notamment un procès dans lequel M. Thanathorn fut accusé de liens avec les Illuminati et de vouloir renverser la monarchie thaïlandaise.
Quelques jours après la constitution du nouveau Parlement, M. Thanathorn a vu son statut de député retiré à la suite d’une contestation juridique des autorités électorales. Il avait finalement été déchu de son siège en raison d’allégations de violation d’une loi relative au scrutin.
À la suite du verdict de vendredi, le Parti du nouvel avenir a rejoint le rang des autres coalitions anti militaires dissoutes par la Cour constitutionnelle, comme le Thai Rak Thai en 2006 ou le Thai Raksa Chart l’année dernière.
Commentaire de l’Union européenne
En réaction à la dissolution du Parti du nouvel avenir, l’Union européenne (UE) a publié une déclaration dans laquelle elle manifeste ses préoccupations concernant le pluralisme politique en Thaïlande.
La dissolution aujourd’hui du Parti du nouvel avenir, l’un des principaux partis d’opposition, est un revers pour le pluralisme politique en Thaïlande. Le parti a recueilli plus de 6 millions de voix lors des élections générales de mars 2019.
La dissolution de partis politiques ou la suspension de membres du Parlement va à l’encontre du processus de restauration du pluralisme initié l’année dernière. L’espace politique en Thaïlande doit rester ouvert.
Il est important que les autorités veillent à ce que tous les membres du Parlement légitimement élus puissent continuer à remplir leur mandat parlementaire, quel que soit le parti pour lequel ils ont été élus.
L’Union européenne se tient prête à étendre son engagement avec la Thaïlande, notamment sur les questions des droits de l’Homme, des libertés fondamentales et du pluralisme démocratique, comme l’a souligné le Conseil des affaires étrangères de l’UE dans ses conclusions du 14 octobre 2019.