Élections en Thaïlande : le parti pro-junte réussit son pari, les démocrates grands perdants

Élections en Thaïlande : le parti pro-junte réussit son pari, les démocrates grands perdants
Prayut Chan-o-cha, leader de la junte et actuel Premier ministre, vote dimanche 24 mars 2019 (Photo : TNA Mcot)

Un peu plus de 90 % des bulletins de vote ont été dépouillés suite aux élections législatives thaïlandaises d’hier et plusieurs surprises sont à noter. La principale étant que le parti pro-militaire Palang Pracharath s’est avéré bien plus coriace que prévu pour le Pheu Thai, initialement favori et soutenu par Thaksin Shinawatra.

Le plus vieux parti politique de Thaïlande doit se réorganiser

Longtemps considérés comme les sauveurs historiques de la démocratie thaïlandaise, le Parti démocrate de Thaïlande est devenu un parti sans intérêt, perdu au milieu de la route, qui ne prône rien et qui ne séduit guère.

Il lui faudra se remettre en question après avoir été devancé par plusieurs autres formations, dont le jeune parti Future Forward. Avant de blâmer les autres, ou Thaksin (comme ils l’ont souvent fait), les démocrates vont devoir se pencher sur leur bilan des deux dernières décennies pour déterminer ce qui a mal tourné.

Tout d’abord, en 2008, le Parti démocrate est arrivé au pouvoir sans pour autant remporter une majorité de sièges. Il a pu former un gouvernement après la dissolution par la Cour constitutionnelle de ses rivaux. Pendant trois ans, les démocrates se sont accrochés au pouvoir au lieu de convoquer de nouvelles élections.

En 2010, Abhisit Vejjajiva, leader du parti et Premier ministre à l’époque, a ordonné une opération militaire sanglante contre des manifestants (dont certains étaient armés mais la plupart ne l’étaient pas) au cœur de Bangkok. Cette intervention avait fait plus de 90 morts.

Abhisit a eu plus de 15 ans pour réorganiser son parti, pour se débarrasser de sa vieille garde, pour insuffler du sang neuf ou tout au moins un programme crédible qui ne soit pas une simple copie des politiques économiques de Thaksin. Il n’a rien fait de tout cela.

En 2014, la haute direction du parti a soutenu les manifestations parfois violentes du Comité populaire pour la réforme démocratique (PDRC), un groupe de pression politique qui a pavé la route au coup d’État militaire. Abhisit et Chuan Leekpai s’étaient alors postés dans Bangkok aux côtés de ceux qui prônaient une intervention militaire.

La junte est maintenant aux commandes depuis près de cinq ans et elle dispose de son propre parti politique, qui donc voterait pour les démocrates ? Personne. Les voix du plus vieux parti de Thaïlande ont en effet été siphonnées tant par le Phalang Prachrath (pro-junte) que par le Future Forward (anti-junte). Après l’annonce des résultats provisoires, Abhisit a donné sa démission.

La lueur d’espoir réside peut-être dans le fait que le parti n’a désormais aucune excuse pour ne pas se réinventer et se réorganiser. Beaucoup de jeunes démocrates sont encore loyaux envers la formation et s’ils peuvent en assurer eux-mêmes la relève, elle sera peut-être de nouveau une force politique majeure dans un avenir proche.

Le Pheu Thai dans une situation délicate

Il ressort clairement que la population a davantage voté contre le Pheu Thai qu’en faveur du Palang Pracharath.

L’énigme Thaksin auquelle le parti est confronté est sans aucun doute une embûche. D’une part, ses partisans lui vouent un véritable culte et continueront à voter pour la « marque » Thaksin. Mais d’autre part, cette base se rétrécit, et son ingérence continue dans la politique thaïlandaise en agace plus d’un.

Quelles conséquences pour le Pheu Thai ? Ce parti devra lui aussi se réorganiser et se réinventer, mais dans une proportion bien moins significative que les démocrates. Par exemple, Chadchart Sittipunt, vice-président du parti et candidat au poste de Premier ministre, est particulièrement apprécié et perçu comme la voix de la raison au sein du parti. Cette vision s’oppose à Sudarat Keyuraphan, qui est quant à elle considérée comme une alliée indéfectible de Thaksin et membre de la vieille garde.

Une chose est claire : la question Thaksin doit être résolue avant les prochaines élections si le Pheu Thai veut goûter une nouvelle fois aux joies électorales qu’il a connues.

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Le Future Forward offre une nouvelle voie

On a beaucoup parlé des primo-vitants et des électeurs de moins de 30 ans lors de ces élections législatives thaïlandaises. Le parti Future Forward de Thanathorn Jungroongruangkit a dépassé toutes les attentes et devrait remporter un nombre important de sièges au prochain Parlement.

Pour un parti se présentant pour la première fois aux élections, les résultats sont impressionnants, et la Thaïlande compte pour la première fois un véritable parti progressiste. Plutôt que d’avoir recours aux méthodes éprouvées d’achat de familles politiques locales, le Future Forward a bâti sa campagne sur les thèmes importants et a su faire la différence face au népotisme.

Le fait que le Future Forward ait délogé les démocrates de Bangkok et soit arrivé deuxième ou troisième dans de nombreuses circonscriptions signifie que les jeunes Thaïlandais ont peut-être adopté une troisième voie, au-delà du clivage « conservateurs » contre « Thaksin ».

Prayut toujours aussi populaire

Dans les résultats remarquables du Palang Pracharath, il faut reconnaître la force du nom « Prayuth Chan-o-cha ». Certes, il s’est emparé illégalement du pouvoir en 2014, certes, il a contribué à la répression des manifestants en 2010, certes, son gouvernement a eu recours à des mesures tant légales que coercitives pour assurer son maintien au pouvoir, mais, il est aussi très populaire parmi une large frange de la population thaïe.

Le franc-parler et le comportement avunculaire du Général font probablement partie des principales raisons pour lesquelles le Palang Pracharath a pu remporter autant de sièges. Cela ne doit être négligé ni maintenant, ni à l’avenir, car Prayuth Chan-o-cha est devenu un puissant symbole politique.