Alors qu’un récent rapport a révélé que la Thaïlande connaît d’importants écarts de revenus et des inégalités sociales profondes, des économistes appellent les politiciens à profiter de ce débat pour proposer des solutions avant les élections.
Le débat sur les inégalités de revenus et de richesses s’est intensifié après la publication du Global Wealth Report 2018 du groupe bancaire Crédit Suisse, au début du mois. Selon cette étude, la Thaïlande est le pays le plus inégalitaire du monde, puisque les 1 % les plus fortunés détiennent 66,9 % de la richesse totale du pays.
La Russie arrive en deuxième position avec 57,1 %, suivie de la Turquie (54,4 %) et de l’Inde (51,5 %). Il y a deux ans, la Thaïlande occupait la troisième place, derrière la Russie et l’Inde.
Pipat Luengnaruemitchai, directeur général adjoint de Phatra Securities, a été le premier en Thaïlande à publier cette information sur Facebook, suscitant un vaste débat sur les réseaux sociaux.
Cependant, le Gouvernement et le Conseil National du Développement Économique et Social (NESDB), un groupe de réflexion étatique, ont rejeté ce rapport, déclarant qu’il se fondait sur des informations caduques.
Affirmant que la situation s’est améliorée ces dernières années, le NESDB a cité l’indice GINI de la Banque mondiale, qui fait état d’une réduction de l’écart des revenus en Thaïlande au cours de la dernière décennie. Cet indice est fondé sur des enquêtes régulières sur les revenus et les dépenses des familles thaïlandaises menées par l’Office National de la Statistique (NSO) du Gouvernement.
Cependant, la réaction du NESDB a entraîné encore davantage de personnes dans le débat.
Somchai Jitsuchon, de l’Institut Thaïlandais de Recherche pour le Développement (TDRI), a affirmé sur Facebook qu’il ne considérait pas franchement que les inégalités de revenus s’étaient réduites.
Il a souligné que bien que les enquêtes socio-économiques menées par le NSO répondent aux normes internationales, le problème fondamental est l’exactitude des informations fournies par les sondés les plus riches.
Richesse contre revenu, deux inégalités différentes
Selon M. Somchai, les personnes riches ont tendance à déclarer des revenus inférieurs à ce qu’ils sont en réalité.
« Si le taux de sous-évaluation ne s’écarte pas beaucoup de celui des années précédentes, alors tout va bien, mais je soupçonne qu’il s’est aggravé au fil des ans », écrit-il.
De son côté, M. Pipat a déclaré que le NESDB avait traité le sujet des revenus, sans répondre aux questions soulevées dans le rapport de Crédit Suisse, qui porte sur les richesses.
La richesse comprend les revenus, l’épargne et la propriété de terrains, maisons, d’actions et d’autres actifs. Par contre, le revenu ne comprend que des rentrées d’argent.
Selon lui, les personnes qui disposent de revenus supérieurs à la moyenne possèdent généralement plus d’actifs. Par contre, celles qui ont de faibles revenus n’en possèdent que peu ou pas du tout, car certaines dépensent l’essentiel pour subvenir à leurs besoins.
« Comme la Thaïlande n’a pas d’organisation pour collecter des données sur la répartition des richesses, nous devons compter sur le Crédit Suisse. Pourtant, les informations collectées par le Crédit Suisse ne sont pas totalement actualisées », a ajouté M. Pipat.
« Nous ne devrions pas nous concentrer sur qui a raison ou tort, mais plutôt nous attacher à résoudre le problème d’une société inégale. Sinon, nous manquerons l’occasion d’y remédier », a-t-il déclaré.
Susciter une prise de conscience sur les inégalités en Thaïlande
Le côté positif de ce débat est que le rapport de Crédit Suisse a fait prendre conscience du problème à l’approche des élections nationales du 24 février prochain Cela offre aux politiciens une occasion parfaite de trouver des solutions et de les présenter aux électeurs, a déclaré M. Pipat.
Il a ajouté que le Gouvernement actuel n’en a pas fait assez pour régler ce problème. Bien sûr, il a lancé un système de carte d’aide sociale pour les populations disposant de faibles revenus, mais qu’en est-il des autres groupes, a-t-il questionné.
En outre, a-t-il dit, le Gouvernement doit réformer l’éducation pour que tout le monde puisse avoir accès à un enseignement de haute qualité.
Pairoj Vongvipanond, économiste indépendant, a quant à lui déclaré que les deux parties étaient dans le vrai. « La conclusion est que nous sommes l’un des pays les plus inégalitaires ».
Il a imputé ces inégalités au Gouvernement actuel, qui n’a pas réussi à résoudre le problème des monopoles et n’a pas réformé la structure fiscale. Le Gouvernement ne perçoit pratiquement pas d’impôts auprès des plus fortunés et la nouvelle taxe foncière a été atténuée par des exonérations fiscales, telles que le prélèvement d’impôts uniquement sur les propriétés dont la valeur dépasse les 50 millions de bahts (environ 1,25 million d’euros).
M. Pairoj a également attribué les inégalités importantes à un affaiblissement de la démocratie, affirmant que quelques membres de l’élite de la société contrôlent la politique, ce qui aboutit à un monopole économique.
« Les sociétés européennes sont plus égalitaires grâce à l’interaction de longue date entre capitalisme et démocratisation », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il espérait que les nouveaux dirigeants politiques, tels que Thanathorn Juangroongruangkit et Piyabutr Saengkanokkul du parti Future Forward (En Avant l’Avenir), oseraient prendre de nouvelles initiatives.
« Ces deux hommes sont conscients des causes de la répartition inégale des richesses et des revenus en Thaïlande », a-t-il déclaré.
En réponse à ce débat, Thanathorn a expliqué qu’il était attristé que le Gouvernement ait balayé ce rapport, qui souligne les graves inégalités dans le pays.
« Je pense que le Gouvernement se défend et défend les capitalistes géants qui le défendent. Tout le monde sait que les dictateurs et les oligarques se soutiennent les uns les autres », a-t-il affirmé.