Thaïlande : 5 ans après son coup d’État, comment Prayut Chan-o-cha a su conserver le pouvoir par les urnes

Thaïlande : 5 ans après son coup d'État, comment Prayut Chan-o-cha a su conserver le pouvoir par les urnes
Prayut Chan-o-cha a été confirmé dans ses fonctions de Premier ministre par le Parlement thaïlandais (Photo : Prachatai / Flickr)

Le général Prayut Chan-o-cha, ancien chef de l’armée thaïlandaise, s’est vu reconduire dans ses fonctions de Premier ministre par le Parlement mercredi 5 juin. Il a ainsi réussi sa transition, passant du statut de leader du coup d’État de mai 2014 à celui de chef d’un gouvernement civil, notamment grâce à un système taillé pour lui assurer la victoire.

Les militaires, qui s’étaient emparés du pouvoir il y a un peu plus de cinq ans, avaient su maintenir leurs opposants à l’écart en interdisant les activités et débats politiques, en renforçant le contrôle des médias et en détenant des opposants jusqu’à quelques mois seulement avant les élections législatives du 24 mars dernier.

Prayut a également pu tirer profit du Sénat, la Chambre haute, composé de 250 membres entièrement choisis par l’armée.

Dans un autre coup de pouce en faveur du général Prayut, la Commission électorale a modifié sa formule de répartition des sièges après la tenue du scrutin législatif de mars devant désigner les 500 députés de la Chambre des représentants, la Chambre basse. Elle a ainsi pu inverser la tendance qui était initialement à l’avantage du « Front démocratique » hostile au pouvoir militaire.

« Le nouveau scénario prévoit des règles favorables à la junte… et les arbitres sont également de leur côté pour les maintenir au pouvoir », a expliqué Thitinan Pongsudhirak, professeur à l’Université Chulalongkorn de Bangkok.

En dépit de ces avantages intrinsèques, le parti d’opposition Pheu Thai est tout de même arrivé premier en nombre de sièges à la Chambre. Le Palang Pracharat, pro-militaire et créé dans l’unique but de faire entrer Prayut dans la politique civile, est quant à lui arrivé en deuxième position.

Les voix du Sénat ont permis à Prayut de conserver son poste de Premier ministre, mais son nouveau gouvernement demeurera une coalition instable avec une majorité de quatre sièges seulement à la Chambre basse et un Front démocratique de sept partis déterminé à en finir avec la domination militaire.

Cette situation rendra probablement difficile le processus législatif et exposera le gouvernement à des motions de censure.

« Malgré les règles établies en leur faveur, ils n’ont pas si bien réussi », résume M. Thitinan.

Prayut pour protéger la nation

Le parti Palang Pracharat, lié à Prayut, réfute toute idée selon laquelle le nouveau gouvernement qu’il dirigera ne serait pas représentatif de la volonté du peuple.

« Nous avons déjà eu des élections démocratiques, donc vous ne pouvez pas dire qu’il s’agit en quelque sorte d’une extension de son pouvoir précédent », a déclaré Thanakorn Wangboonkongchana, porte-parole adjoint du parti.

« Il s’agit plus d’une extension des efforts visant à sauvegarder la nation, les religions et la monarchie, que d’une extension d’un pouvoir dictatorial », a-t-il ajouté.

Pour la plupart des conservateurs, un gouvernement lié à l’armée est une solution acceptable, car l’institution est perçue comme l’ultime garant de la stabilité et des structures traditionnelles du pouvoir.

Après deux coups d’État en une décennie, l’élection de cette année constituait une tentative de la part des militaires de se débarrasser une fois pour toutes de l’influence de l’ex-Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra. Les partis affiliés à ce dernier, qui défendent des politiques particulièrement populaires en faveur des plus pauvres, avaient en effet remporté tous les scrutins depuis 2001.

« Ce coup d’État [celui de mai 2014] n’a rien à voir avec les précédents, au cours desquels les militaires sont intervenus, puis se sont retirés. Cette fois-ci, ils sont arrivés pour réorganiser les choses et rester sur le long terme », a expliqué Prajak Kongkirati, politologue à l’université Thammasat de Bangkok.

« Ce qu’ils ont dû faire, c’est organiser des élections et manipuler les résultats. »

En vertu de la nouvelle Constitution, le Sénat, qui était auparavant un organe élu, est désormais désigné dans le cadre d’un processus contrôlé par l’armée et, pour la première fois depuis deux décennies, il prend part au vote lors de la désignation du Premier ministre, aux côtés de la Chambre basse.

La composition de la Chambre des représentants a également été modifiée, passant de 375 à 350 sièges élus au scrutin majoritaire. L’attribution des 150 sièges restants est passée d’un système proportionnel assez basique à une formule complexe qui fixe une « valeur » pour la répartition des « sièges des partis ».

L’objectif annoncé était de permettre aux petits partis de se faire entendre et d’empêcher la domination d’un seul grand parti, comme ce fut le cas par le passé, lors des années Thaksin.

Pourtant, lorsque les résultats des élections ont été dépouillés, le Front démocratique de l’opposition, emmené par le Pheu Thai, allié de Thaksin, et le nouveau parti Future Forward, pensait se voir octroyer 254 sièges à la Chambre des représentants, soit une majorité.

Le nouveau Parlement thaïlandais lors de sa première session du 5 juin 2019 (Photo : Thai Rath)

L’armée au pouvoir pour combien de temps ?

Cependant, la Commission électorale a par la suite déclaré qu’elle annoncerait les résultats des 150 « sièges de parti » après le couronnement du Roi de Thaïlande, qui s’est tenu début mai.

Lorsque les sièges des partis ont finalement été connus le mois dernier, la Commission électorale avait modifié la formule de répartition et attribué à dix petits partis un siège chacun, principalement au détriment du Future Forward. Ces dix partis ont rapidement annoncé une alliance avec le Palang Pracharat.

La nouvelle répartition des sièges a privé le Front démocratique de la majorité parlementaire attendue, ce qui lui aurait au moins permis de faire obstacle à certaines mesures ou d’organiser un vote sur une motion de censure à l’encontre du gouvernement.

Et si certains prédisent que la coalition de dix-neuf partis conduite par Prayut ne survivra pas plus d’un an, d’autres n’en sont pas si sûrs.

Titipol Phakdeewanich, doyen de la faculté de sciences politiques à l’université d’Ubon Ratchathani, a déclaré qu’il ne s’attendait à aucun changement majeur au cours des quatre ou cinq prochaines années. Il estime que les militaires n’abandonneront pas facilement leur place au pouvoir.

« En laissant l’armée s’infiltrer dans tous les aspects du mécanisme politique, ils peuvent se maintenir le pouvoir sur le long terme », a-t-il ajouté.