La Chine et les États-Unis tentent tous deux de se positionner en tant que principaux fournisseurs d’armes de la Thaïlande. Pour ce faire, ils cherchent à tirer parti de leurs liens historiques pour les Américains et d’une relation beaucoup plus récente pour les Chinois.
D’un côté, les États-Unis considèrent la Thaïlande comme un allié de longue date, apparu à l’époque de la guerre du Vietnam. De l’autre, la Chine perçoit la Thaïlande comme un acteur important de son initiative de la « nouvelle route de la soie » — ou la Ceinture et la Route — qui vise à relier le géant asiatique au reste du continent.
Bien que la Thaïlande ne soit pas résolue à prendre des engagements concrets envers l’une ou l’autre des deux parties, le Premier ministre Prayut Chan-o-cha est contraint de se livrer à un véritable jeu d’équilibriste pour la gestion de ses relations avec les deux pays.
Cela démontre à quel point la Chine a su s’imposer dans un pays qui possède depuis des décennies des liens militaires bien ancrés avec les États-Unis.
En 2003, la Thaïlande fut désignée par l’ancien président américain George W Bush comme un « allié majeur non membre de l’OTAN ». Le Royaume a également constitué une base essentielle pendant la guerre du Vietnam.
Cependant, les relations américano-thaïlandaises se sont détériorées à la suite du coup d’État militaire mené par le général Prayut en 2014. Cette situation avait provoqué un refroidissement des relations en matière de défense, en attendant un rétablissement de la démocratie, conformément aux lois américaines.
Mais la Chine n’avait alors pas tardé à combler ce vide, notamment en intensifiant les exercices militaires et en signant une dizaine d’accords majeurs sur la vente d’armes.
Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), il s’agit du plus gros achat de matériel de défense jamais effectué par la Thaïlande. Cela représente un montant de 1,03 milliard de dollars américains pour trois sous-marins et 48 chars de combat.
La Thaïlande au centre des exercices militaires
« En fin de compte, la reprise des relations entre la Thaïlande et les États-Unis signifie que la Thaïlande se trouve au centre d’une lutte géostratégique entre les États-Unis et la Chine en Asie du Sud-Est », a déclaré Paul Chambers, directeur de recherche à l’Institute of South East Asian Affairs de Chiang Mai, dans le nord du pays.
Après les élections législatives tenues au mois de mars en Thaïlande, les États-Unis ont rapidement tenté de rattraper leur retard. Le secrétaire d’État Michael Pompeo a ainsi salué la Thaïlande pour son « retour à la démocratie » lors d’une visite à Bangkok en août, faisant en outre la promotion du matériel de défense américain.
La porte-parole de l’ambassade américaine à Bangkok, Jillian Bonnardeaux, a ajouté que les programmes d’armement et d’assistance des concurrents « ne livrent que rarement la capacité annoncée et laissent plutôt l’acheteur dans le besoin avec un système qui n’est pas opérationnel ».
La Thaïlande a annoncé en août qu’elle recevra 70 véhicules blindés Stryker d’ici la fin de l’année dans le cadre du programme américain de ventes militaires à l’étranger. Le Royaume prévoit d’en acquérir 50 unités supplémentaires par la suite.
Le mois suivant, l’armée thaïlandaise annonçait l’achat de huit hélicoptères légers d’attaque et de reconnaissance Boeing AH 6i dans le cadre d’un contrat de 138 millions de dollars.
Ces dernières années, cette concurrence entre les États-Unis et la Chine s’est également étendue aux exercices militaires. La Thaïlande continue ainsi d’accueillir « Cobra Gold » avec le soutien des États-Unis, soit le plus grand exercice militaire organisé en Asie, qui a rassemblé cette année 29 pays, avec 4 500 soldats américains et plusieurs dizaines de Chinois.
Cependant, parallèlement, la Thaïlande a participé à plus d’exercices militaires avec la Chine que tout autre pays d’Asie du Sud-Est.
« Il s’agit de créer un équilibre. Nous ne voulons pas choisir un camp, nous devons être l’allié de tous », a déclaré Raksak Rojphimphun, directeur général de la politique et de la planification au ministère thaïlandais de la Défense, en marge de la réunion des ministres de la Défense de l’ASEAN tenue à Bangkok le mois dernier.
« Nous sommes un petit pays. Nous ne pouvons pas choisir nos amis. »
L’Asie du Sud-Est, principal marché pour les armes chinoises
Selon les données du SIPRI, les ventes d’armes conventionnelles chinoises sont passées de 644 millions de dollars en 2008 à 1,04 milliard de dollars en 2018.
Néanmoins, la valeur globale de ces échanges commerciaux reste limitée par rapport à celle des États-Unis, dont les exportations se sont élevées en moyenne à plus de 9 milliards de dollars par an au cours des dix dernières années. Pour la seule année 2018, les États-Unis ont vendu pour 10,5 milliards de dollars d’armes à des troupes étrangères.
Du point de vue de la Thaïlande, la Chine constitue sans doute une option moins onéreuse que les équipements américains.
Malgré sa position de cinquième pourvoyeur d’armes au monde, la Chine vend essentiellement à ses voisins asiatiques. Le Pakistan, le Bangladesh et le Myanmar comptent en effet parmi ses clients les plus importants.
Siemon Wezeman, chercheur principal du programme d’armement et de dépenses militaires du SIPRI, a indiqué que l’Asie du Sud-Est était un marché en plein essor pour la défense. Ces pays disposent de davantage de moyens financiers et éprouvent le besoin de pouvoir réagir face à leurs voisins.
Selon lui, la participation décroissante des États-Unis en Asie a contribué au rapprochement avec la Chine.
« Les États-Unis sont devenus un partenaire de moins en moins fiable », a-t-il conclu.