Mercredi, un « front démocratique » composé de sept partis s’est formé et a estimé qu’il était en mesure de composer le prochain gouvernement de Thaïlande, avec une majorité à la Chambre des représentants. Malgré cette annonce, la situation reste complexe et l’arrivée au pouvoir d’un nouvel exécutif particulièrement incertaine.
Parallèlement, le parti pro-militaire Palang Pracharath, qui aspire à maintenir Prayuth Chan-o-cha, chef de la junte et leader du coup d’État de 2014, au poste de Premier ministre, a lui aussi revendiqué le droit de former un gouvernement sur la base d’un plus grand nombre de suffrages exprimés.
Mais dans les faits, la situation est complexe de part et d’autre.
Les partis vont devoir composer avec un Parlement fragmenté. Au lieu d’un retour à la démocratie que beaucoup attendaient, la Thaïlande pourrait être plongée dans une impasse politique et une période d’incertitude.
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En effet, l’obtention d’une majorité par l’un des deux camps ne signifie pas pour autant qu’il sera en mesure de former un gouvernement dès l’annonce des résultats définitifs le 9 mai.
L’alliance anti-junte menée par Pheu Thai, un parti lié à Thaksin Shinawatra, ancien Premier ministre vivant en exil depuis plus de dix ans, aurait obtenu « au moins 255 sièges » à la Chambre des représentants, qui compte un total de 500 membres.
Ces chiffres se basent sur les résultats des 350 « sièges de circonscription » issus du scrutin direct, et sur les projections des « sièges de parti » pour les 150 restants.
Ces « sièges de parti » sont attribués selon une formule proportionnelle complexe basée sur le nombre total de suffrages exprimés et sur la proportion des votes à l’échelle nationale revenant à chaque parti.
Le Sénat acquis aux militaires
Cependant, les 255 sièges annoncés ne donnent pas à ce « front démocratique » le droit d’élire le Premier ministre, qui sera en charge de désigner un cabinet et le prochain gouvernement de Thaïlande.
Cela résulte d’une nouvelle règle parlementaire inscrite dans la Constitution élaborée par la junte il y a trois ans. Les opposants affirment que cette mesure a été introduite par les militaires pour conserver un rôle dans la sphère politique et empêcher les alliés de Thaksin, leur ennemi juré, de revenir au pouvoir.
La Constitution stipule que le Premier ministre a besoin d’une majorité d’au moins 376 voix, puisque le Parlement est composé de 500 sièges à la Chambre des représentants, mais aussi de 250 sièges au Sénat.
Dans la mesure où ce Sénat est entièrement choisi par la junte, la tâche devrait s’avérer délicate pour le « front démocratique », qui ne pourra compter que sur une poignée de soutiens, voire aucun, au sein de la Chambre haute.
Pour décrocher le poste de Premier ministre, la coalition doit donc disposer de 376 sièges, tous issus de la Chambre des représentants. Si le Premier ministre ne provenait pas de ses rangs, elle se transformerait toutefois en une opposition solide, vraisemblablement majoritaire à la Chambre.
Le parti soutenant Prayut n’a quant à lui besoin que de 126 sièges à la Chambre, puisqu’il pourra compter d’office sur les 250 sénateurs pour le soutenir au poste de Premier ministre et former un nouveau gouvernement.
Le Palang Pracharath pourrait à lui seul décrocher près de 120 sièges à la Chambre basse. Seuls deux autres partis, comptant environ 6 sièges cumulés, ont à l’heure actuelle publiquement pris position en sa faveur.
Les deux bords s’efforcent de rallier d’autres partis pour le moment indépendants. Ceux-ci pourraient cumuler plus d’une centaine de sièges.
Blocages législatifs
Prayut pourrait au départ constituer un gouvernement minoritaire, tout en tentant de séduire des membres de l’opposition pour changer de camp. Mais s’il ne parvenait pas à faire pencher la balance parlementaire, son gouvernement aurait difficilement les moyens de faire adopter quelque mesure que ce soit.
Dans quelques semaines, l’une des lois les plus importantes doit être votée : le budget du prochain exercice. Si ce projet de loi échoue, son gouvernement pourrait être paralysé.
Dans les faits, si l’exécutif dirigé par le Palang Pracharath propose le projet de loi à la Chambre, l’opposition dirigée par le Pheu Thai le rejetera probablement. Cela créera une impasse parlementaire qui rendra le gouvernement impuissant.
Motion de censure
Au final, l’opposition pourrait déposer une motion de censure, à condition qu’elle ait suffisamment de justifications pour l’appuyer. Avec le soutien de plus de la moitié des membres de la Chambre basse, le « front démocratique » pourrait voter en faveur de la destitution de Prayut et de son cabinet.
Puis, le monde politique thaïlandais continuera vraisemblablement de tourner en rond : les deux parties tenteront une fois de plus de décrocher le poste de Premier ministre et, assurés du vote du Sénat, les pro-militaires l’obtiendront à nouveau, mais continueront de se heurter à l’opposition de la Chambre basse.