Plusieurs dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés ce week-end à Bangkok pour dénoncer le pouvoir en place du Premier ministre, et leader du coup d’État de 2014, Prayut Chan-o-cha. Ils ont également exprimé leurs exigences quant à une réforme de la monarchie thaïlandaise.
Depuis mi-juillet, les mouvements de protestation se multiplient en Thaïlande pour demander la destitution du gouvernement, une nouvelle constitution et des élections. Un tabou de longue date a en outre été levé en critiquant ouvertement la monarchie.
En début de journée samedi, des milliers de personnes s’étaient rassemblées sur le campus Tha Phra Chan de l’Université Thammasat. Cette dernière est considérée depuis longtemps comme une source majeure d’opposition aux élites militaires et royalistes. Elle fut également le théâtre d’un massacre de manifestants en 1976.
Sous une pluie fine, les contestataires se sont ensuite dirigés vers Sanam Luang, un espace public situé face au Grand Palais. C’est ici que se déroulent traditionnellement de nombreuses cérémonies officielles.
« Aujourd’hui, le peuple va reprendre son pouvoir », affirme l’avocat Arnon Nampa, qui est devenu une figure de proue du mouvement de protestation.
Les activistes étudiants viennent à leur tour d’entrer sur la place de Sanam Luang, face au Palais Royal de #Bangkok. Les manifestants anti-gouvernementaux y sont de plus en plus nombreux.#19กันยาทวงอํานาจคืนราษฎร #Thaïlande #whatshappeninginthailand pic.twitter.com/mmdjgTJDJL
— Siam Actu (@siamactu) September 19, 2020
Le 19 septembre marquait aussi l’anniversaire du coup d’État contre le Premier ministre Thaksin Shinawatra en 2006. Parmi les manifestants de ce week-end se trouvaient nombre de ses partisans, les « chemises rouges ».
« Je suis ici pour me battre pour l’avenir de mes enfants et petits-enfants. J’espère qu’à ma mort, ils seront libres », explique Tasawan Suebthai, 68 ans, une manifestante en chemise rouge, amulettes porte-bonheur autour du cou.
Tout au long du week-end, le rassemblement a été largement pacifique. Selon les organisateurs, la participation a atteint entre 50 000 et 100 000 personnes à son pic, alors que les autorités estiment le nombre de présents à 20 000.
Ce rendez-vous apparaît clairement comme le plus important mené contre le pouvoir depuis le coup d’État de 2014.
Les manifestants demandent l’abrogation de la loi sur la lèse-majesté
La politique thaïlandaise est marquée depuis des années par les défis lancés aux pouvoirs royalistes et militaires. Les politiciens soutenus par les électeurs pauvres des villes et des campagnes, et plus récemment par les étudiants, combattent la mainmise des élites sur le pays.
L’armée, qui s’autoproclame responsable de la défense des institutions fondamentales de la Thaïlande, en particulier de la monarchie, est intervenue à de nombreuses reprises pour renverser des gouvernements civils. La dernière fois en 2014, en invoquant la nécessité de maintenir la stabilité. Le leader du coup d’État était le général Prayut Chan-o-cha, qui est aujourd’hui Premier ministre. Ses opposants affirment qu’il s’est maintenu au pouvoir en manipulant les élections de 2019, après avoir réécrit la Constitution et massivement placé des généraux au Sénat.
Prayut avait indiqué que le gouvernement autoriserait le rassemblement au nom de la liberté d’expression, mais que les demandes de réforme de la monarchie étaient inacceptables. Avant le week-end, il avait en outre déclaré lors d’une allocution télévisée que les manifestants faisaient courir au pays le risque d’une seconde vague de coronavirus Covid-19.
La police de Bangkok avait indiqué que 10 000 agents étaient déployés ce week-end pour faire face aux contestataires.
« Nous nous battons pour remettre la monarchie au bon endroit, pas pour l’abolir », a lancé à la foule Panupong « Mike » Jadnok, l’un des leaders du mouvement.
Une étudiante de 20 ans, qui a préféré rester anonyme par peur des représailles, estime qu’il est temps de réformer la monarchie. « Il faut que tout cela s’arrête ici. »
Les manifestants demandent l’abrogation d’une loi sur la lèse-majesté qui interdit de critiquer la famille royale sous peine de lourdes sanctions. Ils cherchent également à réduire les pouvoirs constitutionnels du roi et son contrôle sur la fortune du palais et certaines unités de l’armée.
Les manifestants installent une plaque qui symbolise la démocratie à Sanam Luang
Dimanche matin, les manifestants antigouvernementaux ont installé une plaque en laiton, sur leur lieu de rassemblement à Sanam Luang, pour symboliser le renouveau de l’esprit de la révolution siamoise de 1932. Celle-ci avait mis fin à la monarchie absolue en Thaïlande.
La plaque a été posée lors d’une cérémonie à laquelle ont assisté les manifestants qui ont passé la nuit sur place.
La plaque commémorative originale, qui marquait la fin de la monarchie absolue et le début de la monarchie constitutionnelle après la révolution siamoise de 1932, avait mystérieusement disparu en 2017, sans aucune explication des institutions.#Thaïlande #19กันยาทวงอํานาจคืนราษฎร pic.twitter.com/YMyys8Geqe
— Siam Actu (@siamactu) September 20, 2020
Ils l’ont baptisée « Plaque de Khana Rassadorn (Parti du peuple) 2020 ». Khana Rassadorn est le nom d’un groupe de dirigeants militaires et civils qui ont mené un coup d’État sans violence pour renverser le gouvernement du roi Prajadhipok. Ils ont alors instauré le premier gouvernement de Thaïlande sous la forme d’une monarchie constitutionnelle.
« À cet endroit précis, nous, le peuple, déclarons que ce pays est une possession du peuple… », indique une partie de l’inscription sur la plaque. Cette dernière visait à reproduire symboliquement celle posée par Khana Rassadorn sur la place royale après la révolution, mais qui a mystérieusement disparu en 2017.
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Parit Chiwarak, l’un des leaders du mouvement plus connu sous son surnom de « Penguin », a également lu le « Manifeste en 10 points » qui réclame en substance une réforme profonde de la monarchie. Bien que cette question ait été soulevée lors de précédentes manifestations, il s’agissait de la première intervention de cette nature au cours d’un grand rassemblement à Bangkok.
Lundi matin, la plaque avait secrètement disparu, rappelant l’épisode de 2017. « J’ai reçu des informations selon lesquelles la plaque avait disparu. Mais je ne sais pas comment et je ne sais pas qui a fait cela », affirme le chef adjoint de la police de Bangkok, Piya Tawichai.
Les manifestants soumettent leur « Manifeste en 10 points » au Conseil privé
La demande a été soumise par l’intermédiaire du chef de la police métropolitaine de Bangkok, Pakkapong Pongpetra, après que les manifestants furent empêchés de s’approcher du siège du Conseil privé, situé à proximité de Sanam Luang.
Panusaya Sithijirawattanakul, l’une des figures du mouvement, avait demandé à remettre la lettre directement à un représentant du Conseil privé. Toutefois, après un moment de négociation, elle a accepté de la confier au chef de la police métropolitaine.
Les dix revendications visent à réformer la monarchie. Elles comprennent notamment la suppression de la loi draconienne sur la lèse-majesté, la fin de la glorification de la famille royale, la réduction du financement public de la monarchie ou encore l’abolition du Conseil privé, l’organe consultatif du roi.
Les manifestants avaient auparavant indiqué vouloir se rendre au palais du gouvernement. Mais ils ont finalement abandonné cette idée pour se diriger vers le bureau du Conseil privé.
Après avoir soumis ce manifeste, les participants sont retournés à Sanam Luang avant de se disperser progressivement.
Les leaders du mouvement ont prévu un autre rendez-vous devant le Parlement le 24 septembre. Puis, un nouveau rassemblement majeur est annoncé le 14 octobre, date anniversaire du soulèvement populaire du 14 octobre 1973.
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