La fusillade et la prise d’otage survenues à Korat (Nakhon Ratchasima) les 8 et 9 février ont suscité colère et déception au sein de l’opinion publique en raison de la gestion de cette crise par l’armée et le gouvernement. Le niveau de violence inouï, parmi d’autres facteurs, a également contribué à ce sentiment hostile de la population.
Prakasit Sangkra, un avocat, a déclaré que ces réactions négatives étaient le résultat du manquement de l’armée à son devoir de protection des citoyens, alors que cet incident a fait 30 morts et 58 blessés.
« L’armée aurait dû assurer des mesures de sécurité draconiennes pour empêcher un initié [le tireur] d’entrer dans le camp, de dérober des armes et de se livrer à de tels actes. Je pense qu’un système de sécurité rigoureux aurait permis de contrecarrer les criminels, tant de l’intérieur que de l’extérieur », a-t-il expliqué.
Une autre source, citée par le Bangkok Post et qui a refusé d’être identifiée, a affirmé que la colère provenait d’un sentiment de « désespoir » face à la réaction de l’armée et du gouvernement.
« Dans un premier temps, je me suis senti triste face aux lourdes pertes en vies humaines et j’ai ensuite éprouvé de la colère devant la réponse de nos dirigeants. Je suis peut-être trop pessimiste, mais je ne crois pas en la promesse du chef de l’armée de garantir une plus grande transparence dans les casernes, puisqu’il n’y a aucune raison pour que ceux qui sont au pouvoir se sacrifient pour leurs subordonnés. »
Culture militaire
Phichai Ratnatilaka Na Bhuket, politologue à l’Institut national pour l’administration du développement (Nida), a quant à lui déclaré que ces faits avaient révélé les dérives de pouvoir qui caractérisent l’armée thaïlandaise.
« Dans un régime autoritaire, des supérieurs sans éthique peuvent exploiter et intimider ceux qui sont sous leurs ordres. Quand ils [les subordonnés] ne peuvent pas compter sur des instances de justice, ils n’ont pas d’autre choix que de recourir à la violence, comme l’a fait le tireur », a-t-il expliqué.
Il a ajouté que la population avait dirigé sa colère et son mécontentement en direction du pouvoir. Celui-ci apparaît en effet comme une émanation du défunt Conseil national pour la paix et le maintien de l’ordre (NCPO), la junte fondée après le coup d’État de mai 2014.
« La plupart des membres du gouvernement incarnent une culture militaire ancrée dans une hiérarchie rigide. […] Comment le Premier ministre Prayut Chan-o-cha, qui chapeaute également le ministère de la Défense, a-t-il pu laisser cela se produire ? »
Parallèlement, Surachart Bamrungsuk, politologue à l’Université Chulalongkorn, a déclaré qu’outre le mécontentement suscité par le fait que des armes de guerre ont été dérobées avec une relative facilité dans un camp militaire, les réactions et les réponses du Premier ministre et du chef des armées ont été perçues comme dépourvues de toute sensibilité. Ailleurs, un tel événement se serait probablement traduit par des témoignages de condoléances officiels, voire par des démissions.
En outre, les personnes qui manifestent le plus de mécontentement sont aussi celles qui se sont déjà montrées critiques à l’égard des autorités sur de nombreux autres points, a déclaré M. Surachart.
« C’est une accumulation de ressentiments des citoyens envers le gouvernement. La population estime qu’il est incapable de gérer les problèmes, notamment économiques. C’est une énième confirmation », a-t-il poursuivi.
Facteurs multiples
D’autre part, Panitan Wat-tanayagorn, politologue à l’Université Chulalongkorn et président du comité consultatif sur la sécurité auprès du Premier ministre, a déclaré que le sentiment public s’était accentué dans la mesure où le pays n’avait pour ainsi dire jamais connu d’événement d’une telle violence avec un tel nombre de victimes.
« De surcroît, l’incident a été amplifié par une intense couverture médiatique de la part des professionnels et des simples citoyens. Tout cela a été un choc pour nous », a-t-il confié.
M. Panitan a déclaré que le contexte militaire et les connaissances de l’auteur du massacre ont également soulevé un certain nombre de questions quant aux circonstances qui ont fait que l’armée et les agences de sécurité ont laissé cela se produire, sans qu’aucun signe annonciateur soit détecté.
En réponse aux appels en faveur d’une refonte de l’armée, le politologue souhaite une réforme de la gestion des armes et le décloisonnement de la hiérarchie.
« Si un tel incident se répète dans un ou deux mois, nous devrons sans doute nous pencher sur la structure de l’armée. Sinon, cette réforme pourrait ne pas apparaître comme aussi urgente qu’on le pense », a-t-il ajouté.
De son côté, le porte-parole de la défense, Kongcheap Tantrawanit, a estimé que l’incident résultait d’un conflit personnel et ne découlait pas du système militaire.
« Cela ne s’est jamais produit auparavant. Accuser l’armée d’abus de pouvoir n’a pas de sens. Les soldats qui servent dans les rangs sont issus de la population civile. Nous en faisons partie et nous travaillons pour ses intérêts. S’il y a un comportement inapproprié, ils peuvent introduire des réclamations par de nombreux moyens », a-t-il lancé.