Plusieurs partis politiques thaïlandais ont réaffirmé leur droit légitime de soumettre leurs idées aux électeurs, après que le commandant en chef de l’armée ait réagi de manière agressive aux propositions de réduction du budget de la défense.
Le Général Apirat Kongsompong avait déclaré lundi que les politiciens qui proposaient de réduire le budget de la défense devaient écouter la chanson ultra-patriotique « Nak Phandin » (« หนักแผ่นดิน – Fardeau de la terre »).
Les paroles de cette chanson ont été écrites par le Colonel Boonsong Hakritsuk en 1975, lorsque la Thaïlande était sous la menace communiste après la chute du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Par la suite, le pays fut plongé dans un intense conflit politique opposant les étudiants et travailleurs de gauche aux forces de police et paramilitaires d’extrême-droite.
La chanson était destinée à contrer l’activisme de gauche et à fomenter un sentiment nationaliste. Elle décrit sous le nom de « Nak Phandin » ceux qui ont des noms thaïlandais mais ne sont pas des Thaïlandais de cœur, ceux qui provoquent des troubles et des divisions, ceux qui insultent l’identité ou la culture thaïe et ceux qui nourrissent une intention hostile envers le pays.
Cette chanson fut diffusée à maintes reprises à travers Bangkok avant et après que des extrémistes de droite et des policiers prirent d’assaut le campus de l’Université Thammasat le 6 octobre 1976, dans ce qui fut l’une des répressions politiques les plus meurtrières qu’ait connu la Thaïlande.
La réponse du monde politique au chef de l’armée
Les responsables des principaux partis politiques ont riposté en réaffirmant leur droit de présenter leurs orientations aux électeurs et en invitant le Général à rester neutre politiquement.
Abhisit Vejjajiva, leader du Parti démocrate, a déclaré que tous les partis avaient le droit de proposer des mesures, y compris si celles-ci concernent l’armée, soulignant qu’il s’agissait d’une procédure normale et que cela ne devait pas déboucher sur des conflits. Il a ajouté que son parti avait également des propositions à ce sujet, telles que la conscription volontaire, et non plus obligatoire, ou encore une réduction du budget de la défense.
Concernant l’invocation par le chef de l’armée de la chanson de propagande, geste qui pourrait potentiellement attiser les ressentiments à l’encontre des critiques de l’armée, Abhisit a déclaré que le Général, en tant que fonctionnaire, devait rester non partisan. Il a également conseillé à Apirat de présenter ses arguments s’il estime que son service est affecté par ces propositions. Abhisit a invité chacun à se contenter de faire son propre travail.
Chaturon Chaisang, vétéran de la politique et l’un des principaux dirigeants du Thai Raksa Chart, s’est fait l’écho d’Abhisit, affirmant que ce n’était pas dans la sphère du chef de l’armée que de dénoncer les positions des partis politiques. « Il n’a pas le droit de dire cela », a déclaré Chaturon, se référant aux remarques d’Apirat exhortant les politiciens à écouter « Nak Phandin ». « Cette réaction prouve simplement qu’il n’est pas non partisan et de telles remarques sont totalement illégales. »
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Les fonctionnaires de l’État sont tenus de rester politiquement neutres, un point particulièrement important à l’approche des élections, a-t-il ajouté. Chaturon a déclaré que la réaction du Général, outre son manque de neutralité, démontrait sa méconnaissance des rapports entre la politique, le gouvernement et les agences de l’État.
« Dans le cadre de leurs campagnes électorales, les partis ont le droit de proposer des politiques d’ajustement des budgets des différents services », a déclaré Chaturon. « Mais ces agences ne peuvent pas s’opposer à ces politiques. Si le parti gagne, il dispose du mandat pour mettre en œuvre ces politiques. Le chef de l’armée doit respecter ça. »
Réformer l’institution militaire en Thaïlande
D’autres politiciens et critiques ont déclaré que la réponse du Général prouvait que l’armée avait besoin d’être repensée. Pannika Wanich, porte-parole du Future Forward, a déclaré que l’armée était tenue de rester neutre, mais, à maintes reprises, la réalité fut tout autre.
« Il est clair qu’ils abusent de leur pouvoir pour accroître la pression ou même s’ingérer dans la politique », a-t-elle déclaré. « Le pire qu’ils puissent faire, c’est de provoquer un autre coup d’État pour prendre le pouvoir. C’est la raison pour laquelle l’armée a besoin d’être réformée. »
Pongsakorn Rodchom-phoo, militaire mais aussi co-dirigeant du Future Forward, a déclaré que le parti avait proposé de faire évoluer le commandement des armées et de réduire les effectifs. Selon lui, cela favorisera non seulement une réduction des coûts, mais donnera aussi priorité à la qualité sur la quantité.
Pour sa part, l’expert en sécurité Wanwichit Boonprong a expliqué que modifier la chaîne de commandement était une option envisageable pour la Thaïlande et que cela affaiblirait la position dominante de l’armée.
Dans ce nouveau système, dit-il, il n’y aurait qu’un seul commandant en chef, qui présiderait les chefs d’état-major interarmées, et relèverait directement du gouvernement. Celui-ci ne remplirait qu’un rôle de soutien et n’aurait pas le droit de participer à la vie politique, a-t-il ajouté.