La quatrième vague d’infections observée au Japon, quelques semaines seulement avant les Jeux olympiques, a attiré l’attention sur la gestion de la pandémie en Asie.
Les méthodes de santé publique qui ont permis de contenir le nombre de contaminations l’année dernière ne fonctionnent plus. Tandis que les États-Unis et l’Europe se déconfinent, la majeure partie de l’Asie se referme. Les économistes n’ont pas encore abdiqué à l’idée d’une reprise menée par l’Asie, mais ils affirment que les taux de vaccination ont besoin de se renforcer.
« Sans vaccins et face aux nouveaux variants qui se profilent maintenant, le risque de devoir entrer et sortir de périodes de restrictions est plus important. Cela affectera la confiance des entreprises et des consommateurs et aura également des conséquences à long terme », déclare Sian Fenner, basée à Singapour et économiste en chef pour l’Asie chez Oxford Economics.
Elle souligne que les services constituent une grande partie du marché du travail. Lorsque cette partie de l’économie se trouve à l’arrêt forcé, on assiste à une disparité des compétences et à un sous-emploi. « C’est pourquoi nous parlons de cicatrices économiques ; il y a des effets sur la productivité du travail et du capital. »
Le Japon, dont seulement 6,4 % de la population a reçu une première dose de vaccin contre le coronavirus Covid-19, a vu le nombre de personnes infectées passer à 6 000 par jour au cours des deux dernières semaines. Cette recrudescence de nouveaux cas porte un coup à la troisième plus grande économie du monde, qui s’est contractée de 5,1 % en glissement annuel au premier trimestre de cette année.
Les voisins du Japon se montrent eux aussi à la peine en termes d’immunisation. Après quasiment un an de vie normale, les Taïwanais ont joué de malchance lorsque des pilotes ont accidentellement rapporté le virus dans la capitale Taipei. Le nombre de cas par jour se situe désormais autour de 500, et les résidents taïwanais, qui avaient l’habitude de manger au restaurant et de se rendre dans les stades, ont été priés de porter des masques et de rester chez eux.
La Corée du Sud signale elle aussi autour de 600 cas quotidiens depuis plusieurs semaines, tandis qu’à Hong Kong la situation semble désormais sous contrôle.
Bien que la situation en Chine demeure relativement contenue, le pays fait figure de forteresse.
En Asie du Sud et du Sud-Est, les prévisionnistes se replient sur des hypothèses basiques et se préparent à réduire leurs estimations. Le nombre de nouvelles infections en Inde semble avoir atteint un pic, mais le pays compte encore plus de 3 millions de cas actifs. En Thaïlande, le total dépasse à l’heure actuelle les 150 000, alors qu’il n’était que de 7 000 pour l’ensemble de l’année dernière.
Vendredi (28 mai 2021), la Malaisie a signalé 8 290 nouvelles infections, soit le nombre le plus élevé depuis le début de la pandémie. De l’autre côté du détroit de Johor, à Singapour, le gouvernement prévient que les restrictions actuelles, qui ont conduit à vider les bureaux et les restaurants, pourraient ne pas suffire pour faire face à l’augmentation du nombre de personnes infectées dans la société.
Le contraste avec l’Europe et les États-Unis se révèle saisissant. Bien que les résultats obtenus par l’Asie dans sa lutte contre le virus en procédant à la mise en quarantaine dans des hôtels, en isolant les patients, en utilisant des masques et en retraçant les personnes infectées se soient initialement révélés impressionnants, l’Asie affiche un retard important par rapport au monde occidental dans la politique de vaccination de ses citoyens.
Selon les dernières données disponibles, seulement 6,4 % de la population japonaise a reçu une première dose du vaccin Covid-19, contre 57,9 % au Royaume-Uni et 50,5 % aux États-Unis. La Chine a également considérablement accru ses inoculations au cours des dernières semaines, mais malgré cela, un peu moins de 600 millions de ses 1,4 milliard d’habitants ont été immunisés. Le manque de confiance dans les pouvoirs publics et les problèmes de livraison et de logistique ont en outre retardé la distribution des vaccins à Hong Kong, en Indonésie, en Malaisie et aux Philippines.
Cette situation expose alors davantage les populations aux nouveaux variants, parfois plus contagieux. Pour empêcher l’importation du virus, de nombreux pays ont donc restreint les voyages transfrontaliers, mais cette idéologie de forteresse risque de compromettre le rôle de premier plan de l’Asie dans la reprise économique mondiale.
« L’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Chine, Taïwan, Hong Kong et Singapour associent le succès à l’éradication. Le problème est que tous les pays n’ont pas adopté cette définition », déclare Nicholas Thomas, professeur associé de sécurité sanitaire à la City University de Hong Kong.
Selon le Dr Thomas, les États asiatiques sont confrontés à des difficultés lors de la réouverture des frontières, car ils ne préparent pas leurs populations à des périodes d’interruption régulières en cas de nouvelles vagues d’infection. « Cela signifie forcément que nous courrons un plus grand risque à l’avenir. Plus le virus subsiste longtemps, plus il y a de possibilités de mutations. Nous observons un taux de mortalité plus élevé avec le variant britannique. »
Shiro Armstrong, directeur du Centre de recherche Australie-Japon à l’Université nationale australienne, affirme que les récentes vagues apparaissent comme le reflet du manque de coopération entre les puissances mondiales alors qu’elles devraient œuvrer ensemble pour améliorer la couverture vaccinale. M. Armstrong indique que davantage de préparatifs demeurent nécessaires pour introduire des passeports vaccinaux afin que les frontières puissent rouvrir.
« Les dernières épidémies en Thaïlande, à Taïwan et à Singapour sont regrettables et nous rappellent que nous n’en avons pas encore fini. Ce qui s’est passé en Inde pourrait rapidement se produire dans d’autres parties de l’Asie du Sud et du Sud-Est s’il n’y a pas davantage de coopération et d’aide en matière de vaccins de la part des économies développées », poursuit M. Armstrong.
Karthik Nachiappan, chercheur à l’Université nationale de Singapour, considère que les vaccins administrés seront cruciaux pour que l’Asie conserve son avance dans la course à la reprise économique après l’épidémie.
« La clé pour éviter de nouvelles restrictions, voire un confinement, réside dans les vaccins et la garantie d’un approvisionnement suffisant pour vacciner davantage de personnes ou un calendrier de vaccination qui allonge les intervalles entre les doses, comme l’a déjà fait Singapour », remarque-t-il.
« Il faudra une diplomatie plus vigoureuse de la part de l’Asie pour accroître l’approvisionnement en vaccins et les diffuser rapidement et largement. C’est la ligne de fracture qui divise certains pays occidentaux et asiatiques. »
Cependant, certains investisseurs ne se montrent pas alarmés par le coup d’arrêt subi par l’Asie le mois dernier et spéculent que le continent terminera l’année dans une situation plus favorable que l’Europe et les États-Unis.
« Je pense que l’Asie se porte toujours très bien. Ils se débrouillent correctement, ils ont des projets et ils ont connu des crises similaires au cours de la dernière décennie. Ils savent ce qu’ils peuvent faire et ils sont prêts », affirme ainsi Tim Murray, cofondateur de la société spécialisée dans la recherche sur les actions et la macroéconomie J Capital.
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